Il y a quelques années, lorsque l’ingénieur du son, Bertrand ILBOUDO, lançait l’idée du festival ciné-village de KUILA, le pari était loin d’être gagné tant les embûches s’amoncelaient sur son chemin.
Des années après, alors que le promoteur est allé apprendre à « lier le bois au bois » de « l’autre côté de l’eau », force est de reconnaitre que le festival a pris fortement racine en peu de temps et que sa survie ne pose plus problème ; mieux, son ancrage dans la vie sociale et culturelle de KUILA suscite admiration et respect.
KUILA est un village situé à environ 40 km au nord de Ouagadougou, et à moins de cinq kilomètres de ZINIARE, chef-lieu de la Région du Plateau Central et cité anciennement très courue et fréquentée par tous les barons du régime Compaoré, parce fief du prince d’alors.
On pourrait croire que c’est un village qui, de par sa proximité avec la cité du prince, aurait bénéficié d’avantages divers. Hélas ! Trois fois hélas ! Et cela, bien que des fils du coin aient été appelés à de hauts postes de responsabilités depuis des décennies.
KUILA est donc restée une petite bourgade comme la majeure partie des villages du pays.
Longtemps stigmatisées par ses riverains qui évoquent bien souvent les puissances mystiques dont serait doté son charismatique chef de village, KUILA était fui, craint et sa jeunesse tout comme les autres habitants étaient souvent montrés du doigt partout où ils passaient.
Dans le cinéma Burkinabè, Bertrand ILBOUDO a acquis une notoriété certaine, lui qui est de tous les plateaux de tournage qui comptent. Boute-en-train, et toujours dévoué à la cause du plus grand nombre, il a eu l’idée (en tant que ressortissant ce village) d’initier ce festival pour, à la fois souligner le rôle important que le cinéma joue et doit jouer auprès des populations rurales, pour souligner également l’apport considérable que les villages, leurs mode de vie et leurs valeurs apportent au cinéma et aux films burkinabè.
Comme toute entreprise sous nos contrées, la première édition se fera aux frais de l’organisateur qui se sacrifie pour que le bébé naisse. Il se murmurait alors que le festival se limiterait à la première et unique édition. Et voilà que d’année en année son succès et sa popularité s’affirment, poussant des villages voisins à lancer (sans succès) des initiatives du genre.
Une identité retrouvée
Depuis deux ans qu’il est en formation en région parisienne, Bertrand ILBOUDO était loin de se douter que le festival prendrait si vite son autonomie et deviendrait le levain qui ressouderait les liens entre enfants de KUILA.
A partir de la deuxième édition, plusieurs fils du terroir ont apporté leur soutien (soutien moral surtout) aux organisateurs et se sont pressés d’être à KUILA pour être de la photo de famille et éviter ainsi d’être blâmés par une population qui s’est appropriée carrément l’organisation du festival et qui trouve en lui un moyen d’épanouissement.
Comme chaque année, ce sont les femmes qui sonnent la mobilisation, des mois avant la date butoir et le comité local met en place un système de levée de fonds pour autofinancer l’évènement.
Les jours de festival sont des jours de fête à KUILA. De toutes part, les curieux arrivent dès le début de l’’après midi et restent sur le site au-delà même de minuit. Il faut dire qu’en plus d’un programme officiel fait de projections, d’ateliers pour les jeunes et les femmes, de prestations d’artistes, l’occasion est belle pour que les artisans de KUILA étalent leur savoir–faire à travers une mini-foire très plaisante et festive.
Plusieurs professionnels du cinéma apportent d’année en année leur soutien au festival, c’est notamment le cas du doyen Gaston KABORE ou du comédien Hyppolite WANGRAWA mais aussi des jeunes auteurs comme Carole AHODEKON, Ferdinand TAPSOBA, Nadège NARE, Mamounata NIKIEMA, etc.
On a même pu voir le cinéaste Mhô DIABY de Côte d’Ivoire braver une longue distance pour venir à KUILA présenter son film.
Cinéma au village, Ciné calebasse ?
Il vous souviendra que des cinéastes d’une certaine génération avaient lancé une virulente diatribe contre les œuvres du cinéma d’Afrique noire des années 90 qu’ils avaient baptisé de « cinéma calebasse » arguant qu’ à l’époque des films continuaient à se tourner en campagne, montrant ce que Jean-Marc ELA nomme « l’Afrique des villages » alors qu’eux étaient nés et avaient grandis en ville. Ils souhaitaient l’avènement d’autre chose. Ils disaient aussi que les salles étaient en ville et donc le public or ce qui intéressait avant tout ce public c’était de voir des films faits en ville avec des histoires citadines d’une Afrique urbaine…
Cela a-t-il permis au cinéma d’Afrique de s’émanciper entièrement ?
La vérité sans doute, comme toujours, se trouve ni dans le camp des pourfendeurs de ce genre de cinéma ni dans le camp de ses défenseurs.
En attendant rendez-vous cette année est pris pour KUILA du 27 au 30 avril 2017 pour célébrer le cinévillage sous le thème « Cinéma et patrimoine culturel ».
YASSER BABA