Fort du succès international du FESPACO, fier de la qualité de la production cinématographique nationale et de la présence de quelques symboles du cinéma africain sur ses terres, le Burkina Faso passait pour être une place incontournable de la culture et du cinéma en Afrique, et Ouagadougou se targuait d’être « la capitale du cinéma africain ».
Mais ça, c’était avant…
Il est vrai que la marmite qui a cuisiné un plat délicieux en garde la saveur pendant des lustres, mais force est de reconnaître que le cinéma Burkinabè est aujourd’hui l’ombre de lui-même.
Faites vos jeux, rien ne va plus…
La barque de la maison cinéma tangue depuis des années, elle coule même disent certains. Le désormais ex-nouveau DGCA qui fourmillait d’idées et de projets pour sa relance a été récemment débarqué, alors qu’il en appelait a de nouveaux Etats Généraux, à l’édification d’un CNC burkinabè et à l’institution d’un fonds exclusivement dédié au cinéma. De quoi demain sera-t-il fait ? Nul ne saura répondre…
Il y a quelques années, l’Union nationale des Cinéastes (UNCB), s’était évertuée à mettre sur pied une fédération nationale des associations de cinéma, avec le secret espoir que cette grande association relancerait les activités. Le président Emmanuel SANON dans son adresse aux militants avait affirmé que grâce à cette association « nous allons reprendre les choses en main et redonner ses lettres de noblesses à notre cinéma ». La fédération tant attendue est là, donnant une idée de ce qui nous attend : Chacun pour soi et Dieu pour tous !
Plus de cinq ans après ces vœux pieux et cette Fédération sensée tout relancer, force est de reconnaître qu’à l’image de son président actuel, l’association nationale n’existe que par les nombreuses publications et les selfies.
A la veille de chaque FESPACO, les activités et l’actualité du cinéma au Burkina ont toujours été très riches, très passionnées. C’est la course à la réalisation de projets divers pour pouvoir être présents à la grande messe des cinémas d’Afrique. Depuis quelques années cependant, les films burkinabè se suivent et… se ressemblent.
Si les apôtres du cinéma de distraction, propriétaires pour certains de médias de pressions (Radios, journaux, salles) ont la côte auprès des politiciens sponsors, pour les autres c’est plus compliqué, notamment pour les jeunes cinéastes et les plus âgés qui souhaitent faire des films d’auteurs, plus artistiques, moins commerciaux…
On se retrouve ainsi à chaque édition du FESPACO avec une liste de films mal ficelés, tournés à la hâte, des téléfilms pour la plus part, et l’on est fier de parader et d’affirmer que cette année encore le Burkina sera présent, chiffres et statistiques à l’appui.
La vérité est que les créateurs qui se bousculent pour être à la fête du FESPACO ne murissent pas suffisamment leurs projets. Combien d’entre eux arrivent à se faire subventionner en dehors du pays ?
Aucune réforme sérieuse n’est envisagée pour restructurer un cinéma moribond depuis une quinzaine d’années, les fonds internationaux étant rares et peu consistants, les cinéastes ne cessent de demander à l’Etat de « faire quelque chose ».
Chaque année, c’est un groupuscule quasi occulte qui se réuni pour partager des sous d’un prétendu fond ministériel, sans base légale. Conséquence, aucun projet vraiment viable ne voit le jour. Les choses seraient plus simple si la grille de répartition de ces sous étaient transparente. L’autre mamelle financière du ministère, le FDCT, n’en finit plus de montrer ses limites et son inadaptabilité avec le cinéma malgré l’apport récente de l’Union européenne. Aucune commission de lecture, de sélection ou de production n’existe dans la capitale du cinéma africain depuis plus de 20 ans.
Dans un pays où les cinéastes utilisent l’argent des subventions pour investir plus dans le bâtiment que le cinéma, on peut aisément deviner la destinée de ces fonds étatiques. Oui, il n’est un secret pour personne que des cinéastes « qu’on a vu ici » sont aujourd’hui propriétaire de bunkers et d’immeubles cossus tout en trainant encore des ardoises, car laissant des comédiens et des techniciens non payés.
Ils sont nombreux ceux qui appellent aujourd’hui à un audit du financement du cinéma par l’état. Que les chiffres soient publiés et que l’on sache qui a fait quoi avec quelle somme…
Avec plus d’une dizaine d’années d’existence, l’Institut Supérieur de l’Image et du Son-Studio Ecole a formé des réalisateurs mais jusque-là le financement national semble les ignorer royalement au profit des « coupeurs de route » qu’on découvre chaque jour comme de nouveaux cinéastes.
La vérité c’est que les bureaucrates décideurs, continuent à lier le financement de certains films à l’auteur qui le porte ou aux fameux thèmes traités, ignorant qu’il y a de nouvelles façons d’écrire et de filmer. Les années 2000 ont connu un rayonnement international jamais démenti des séries télés burkinabè comme (Kadi Jolie, Les Bobodiouf, Au Royaume d’Abou, A Nous la vie, Vis-à-vis, Commissariat de Tampi, Quand les éléphants se battent…). Toute cette dynamique des séries télés est cassée en ce moment et personne ne s’en soucie.
Il serait aussi dommage de passer à côté du bouillonnement créatif présent dans le court-métrage des jeunes auteurs sortis de l’ISIS-SE, il serait dommage de ne pas booster les projets porteurs des documentaristes burkinabè et enfin dommage de se priver du regard féminin des cinéastes de notre pays. Mais pour tout ça, il faut de l’argent certes, mais surtout une vision.
Et comme toujours quand plus rien ne va, la nostalgie s’invite. On se prend alors à chanter le passé glorieux d’un cinéma qui se réclamait locomotive africaine il n’y a pas longtemps. C’était mieux avant…
Ce qui est vrai aujourd’hui comme hier, c’est que le cinéma national fonctionne avec des clans. Ceux qui font des projets ensemble, tournent ensemble et sont aussi souvent ceux qui vont faire la fête ensemble. Normal ?
A l’élection du nouveau bureau, des associations de jeunes techniciens avaient sonné la mobilisation en incitant leurs membres à se mobiliser pour porter leur candidat car « c’est notre moment ».
Une fois le pouvoir acquis, « Ils ont fait pire que ce qu’ils reprochaient aux autres », commente un cinéaste. Il y a peu, l’ancienne UNCB a refait surface pour exprimer le mécontentement de certains de voir la FNCB s’éloigner de leur génération, et le désengagement ou désintérêt des activités de la faitière est manifeste pour beaucoup de cinéastes.
Vendredi 7 mai 2021, les locaux de l’ISIS ont même accueillit une rencontre d’un groupe d’aînées (de qui ?) soucieux de se constituer en force de… propositions afin de faire avancer les choses. Une autre nouvelle association ? L’avenir nous le dira…
La vérité c’est que les anciens ne peuvent pas blairer les jeunes pour « leur arrogance et leur inculture », et que les jeunes ne veulent pas voir les vieux parce qu’ils les accusent de s’être longuement accaparés de tout à leur détriment et parce qu’actuellement ils sont les plus nombreux.
Ah…Si Jeunesse savait… si Vieillesse pouvait…
Une nouvelle guerre des âges s’est déclarée.
C’est connu, quand ça ne veut pas… Ça ne veut pas..
A. LILLYALA (Reprise améliorée d’un article publié en 2017)