Nous avions applaudi il y a quelques mois lorsque nous apprenions la mise sur pied d’un Centre National du cinéma Burkinabè, centre appelé par tous nos vœux et nous nous sommes réjouis de la possibilité de voir enfin naître un Fonds cinéma qui va porter les espoirs du cinéma national.
Hélas, trois fois hélas, la récente publication des résultats de la subvention de l’Etat que cette nouvelle entité a pilotée nous a confirmé une chose: nous sommes très loin du compte.
Le mythe de la primauté du long-métrage fiction
C’est comme si toute la stratégie et la vision des nouveaux maîtres de notre cinéma constitue à dire « il faut mettre les moyens et on aura des œuvres de qualité ».
Ces personnes sont sans doute nostalgiques de « l’âge d’or du cinéma Burkinabè » où des films se faisaient en centaines de millions ou en milliards, et croient qu’en mettant de l’argent le niveau va monter automatiquement, et que par conséquent les techniciens et les acteurs seront mieux payés. On l’a bien vu avec le milliard de Roch que ce n’était pas vrai. Plus de trois ans après on en est encore au point de départ comme si cet investissement n’avait jamais existé.
Tout se passe comme si le cinéma se résumait aux longs-métrages. Vous verrez donc des néo-écranistes se vanter pompeusement d’avoir fait trois, dix ou quinze long-métrages et se proclamer « nouveaux rois » comme si les autres genres, les autres formats ne comptent pas dans le cinéma.
Nous savons tous qu’à gratter un peu la grande majorité de ces fameux longs-métrages, ne sont que des téléfilms sans profondeur, du fast-food cinématographique en vérité. Attention, ils ont le mérite d’exister, de contribuer au dynamisme de notre cinématographie, mais de là à les ériger en « nouvelle vague », il n’y a qu’un pas que certains sautent allégrement sans vraiment savoir ce qu’est une nouvelle vague.
En s’inspirant de l’exemple de Succès cinéma, une partie de la cagnotte aurait pu servir à tendre une perche aux films à petit budget qui ne plaisent pas forcément aux élites mais ils ont leur public et leur utilité, et ce n’est pas MCZ qui me dira le contraire.
Du mépris pour les séries télés
Les récents résultats de la commission d’attribution montrent clairement le mépris que les « nouveaux maitres » réservent à la série télévisée. Dans un pays avec moins de six salles de ciné viables, où rares de films dépassent le plafond de 20 000 000 de francs en entrées (l’expérience de Succès Cinéma le rappelle) le CNCB subventionne en moyenne le LM fiction à 25 millions, le LM documentaire à 17 millions et la série télé à 10 millions.
Le paradoxe est plus important quand on apprend que des court-métrages reçoivent une vingtaine de millions, alors que des séries ont 5 millions pour la production. Il fallait le faire…
On nous dira qu’il y a court-métrage et court-métrage… Oui, sauf que cette fois encore ça ne passera pas.
Nous avons toujours voulu qu’un soutien conséquent soit accordé aux premiers et deuxièmes films pour aider les talents émergents à s’affirmer et ils sont souvent nombreux dans le format court. Mais au regard de la liste des lauréats plus que quarantenaires, on cherche encore à voir un jeune talent à promouvoir, et ils ne sont certainement pas à leurs premier ou deuxième film…
Encore une fois, ces œuvres télévisuels sont pompeusement subventionnés alors que les circuits pour les diffuser en salle sont quasiment nuls au contraire de la série télé qui pourvoit plus d’emplois, de talents émergents, de programmes…!
De l’argent public encore distribué sans la moindre précaution
L’utilisation de l’argent public en ces temps d’austérité et de crise mérite un peu plus d’égards.
Des sociétés boîtes postales ont encore bénéficiées de ces subventions de l’Etat et nous en connaissons qui n’existent que parce qu’ils ont des papiers entêtes, un cachet et une adresse.
Plus d’un tiers de ces structures qui bénéficient de cette subvention ne sont pas à jour de leurs obligations fiscales et cotisantes. Mais, bon, « ce n’est pas l’argent du papa de quelqu’un… » disait quelqu’un, agacé par nos remarques.
Des professionnels entre le marteau et l’enclume.
Certains contestent aujourd’hui la présence dans ces commissions de tel ou tel, mais là n’est sans doute pas le principal souci. La plus belle femme du monde ne donne que ce qu’elle a. Les patrons du cinéma se sont empressés de dire aux médias que le travail avait été fait dans « l’impartialité totale » comme s’il pouvait en être autrement en oubliant que « dire « feu » ne brûle pas la bouche. Il y a souvent un fossé entre ce que vous dites et ce que vous faites. Passons.
Il nous revient que des professionnels ont été sollicités pour « juger de la qualité des œuvres » mais que, comme d’habitude, le partage du gâteau s’est fait dans d’autres sphères obscures avec un groupe restreint entre quatre murs. Encore une raison pour poser la suivante question « les cinéastes burkinabè sont-ils si irresponsables« ? C’était le titre d’un précédent écrit de 2019 où je critiquais cette façon de nous infantiliser.
Pour la suite, puisque le vin est tiré et qu’on nous oblige à le boire
Nous exigeons du ministère un audit des vingt dernières années du financement du cinéma. Qui a pris quoi et combien? Et quel film a été fait? Quel film n’a pas été fait (il y en a des dizaines au moins)?
Les néo-millionnaires que ces subventions ont rendus promoteurs immobiliers ou investisseurs dans d’autres secteurs devront être bannis désormais de nos rangs.
On a entendu dire que « si les mêmes gens gagnent chaque fois les subventions, c’est que ces gens sont doués » voici une injure qui nous est faite et nous demandons des précisions. Ces personnes sont certes douées, mais en quoi? En dessous de table? En lobbying auprès de certaines autorités pour faire pressions comme nous l’apprenons? Tout se sait dans cette savane, rappelez-vous en.
On peut aussi s’étonner de voir que l’Etat subventionne fortement des œuvres et que lorsqu’un évènement national veut ces films pour les diffuser au public la production vous demande de payer. Pour diffuser ces œuvres, la télévision nationale doit, elle aussi, les acheter… quelle est la contrepartie pour un producteur lorsqu’on reçoit l’argent public? On utilise l’argent du contribuable, on finance un produit mais il ne peut pas non plus le voir s’il ne paye pas Canal? Nombre de ces films passent sur des chaînes étrangères où elles ont été vendues…
Enfin, des Fonds cinéma existent un peu partout avec des manuels de procédures transparentes et professionnelles et on peut avoir l’humilité, non pas de copier, mais d’apprendre comment ça se fait ailleurs.
La longue traversée que le cinéma burkinabè a entamée depuis quelques années s’arrêtera-t-elle un jour? « Il faut oser inventer l’avenir » soutenais Thomas SANKARA.
Idrissa GUIGMA
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